Guillaume Le Blanc | Why Read Foucault’s Confessions of the Flesh Today? (French version)

De Guillaume Le Blanc 

Que pouvons-nous trouver dans un texte sur la sexualité chrétienne qui aurait dû paraître en 1982 voire en 1984 et qui finalement ne le sera qu’en 2018 ? Étrange situation puisque nous lisons ce livre aujourd’hui alors qu’il a été écrit il y a plus de 35 ans et qu’il a même été rédigé avant les tomes 2 et 3 de l’Histoire de la sexualité. Que signifie se rendre le contemporain de ce livre résolument décalé ? Décalé parce qu’il étudie un matériau historique enfoui, un ensemble de textes sur la chair chrétienne entre le 2ème et le 5ème siècle. Décalé également parce que les lecteurs que nous sommes n’y ont accès qu’en 2018 alors que le tapuscrit a été rendu chez Gallimard en 1982 et que Foucault corrigeait les épreuves au moment de sa mort en 1984. Tous ces éléments de contexte ont leur importance car la réception de ce livre aujourd’hui est indissociable de l’état de la question sexuelle auquel je ferai retour dans une deuxième grande partie de mon intervention.

Dans ce séminaire, le texte est considéré pour reprendre un mot d’Etienne Balibar dans le premier séminaire moins comme une source que comme une ressource. Il n’est pas intéressant en soi parce qu’il est attribué à un auteur mais parce qu’il donne lieu à des usages. Et si l’image de la boîte à outils a donné lieu à bien des critiques, ici même dans ce séminaire, elle a au moins le mérite de nous forcer à déplacer la focale de l’auteur au lecteur et plus encore du lecteur à l’usager. Car en somme il se pourrait que la question soit moins celle de savoir ce qu’est lire un texte aujourd’hui que celle de savoir qui lit dans quels contextes, selon quels buts, à partir de quelles luttes, résistances. Foucault a défini son travail comme une forme de présentisme : dans ses multiples commentaires de « Qu’est-ce que les Lumières de Kant ? » il a explicitement signifié que c’est la question du présent qui l’intéressait. Il a vu ce problème du présent surgir dans sa pleine radicalité dans l’opuscule de Kant en même temps que la question de l’appartenance du philosophe à ce présent. « Tout ceci, la philosophie comme problématisation d’une actualité, et comme interrogation par le philosophe de cette actualité dont il fait partie et par rapport à laquelle il a à se situer pourrait bien caractériser la philosophie comme discours de la modernité, et sur la modernité » (« Qu’est-ce que les Lumières ? », cours du 5 janvier 1983, Collège de France). Dire en quoi consiste le présent pour mieux le transformer implique tout à la fois que le philosophe soit une sorte de « journaliste transcendantal » selon l’expression de Maurice Clavel à propos de Foucault, un penseur qui s’intéresse aux conditions de possibilité de ce présent, et en même un « militant » qui s’emploie à le transformer. On se souvient que cette leçon sur Kant se termine par deux questions : « Qu’est-ce que c’est que notre actualité ? Quel est le champ actuel des expériences possibles ? » Et je pense qu’en réalité il est impossible de poser la première question journalistique sans engager la seconde question plus militante. Je crois qu’il ne faut pas perdre de vue ces deux éléments lorsque l’on aborde des textes aussi éloignés historiquement que ceux qui sont analysés dans Les aveux de la chair.

I.  Lire Les aveux de la chair

Dans la conférence qui suit, il s’agira moins de relire Les aveux de la chair que de le lire puisqu’il vient de paraître. Mais le lire du coup à l’intérieur de notre moment présent. Ceci me conduit, dans une première grande partie de mon intervention, à mettre en avant trois idées centrales qui sont ici ressaisies à leur point d’origine historique : d’une part, le fait que le sujet ait fini par devenir un sujet entièrement sexuel ; d’autre part le fait que le sujet ait à dire le vrai sur sa sexualité. Enfin qu’il ait eu à avouer sa sexualité dans le cadre d’une technologie particulière. Sujet sexuel, dire vrai sur soi et aveu sont les trois grandes opérations théoriques qui circulent dans le texte. Ce sont là trois effets d’une technologie de soi qui s’est construite grâce à la sexualité. Par elle nous sommes devenus des bêtes d’aveu.

Il faut donc bien se dire que la sexualité est une construction, qu’elle n’est nullement cet accès mystérieux à nous, en-deçà du langage, le retour à une nature. Dans La volonté de savoir il a tordu le cou à l’idée très répandue que le sexe aurait été réprimé et qu’il faudrait le libérer. C’était une idée que l’on trouvait au même moment défendue par Marcuse dans une alliance de Freud et de Marx. Dès 1969, dans le cours de Vincennes, « Le discours de la sexualité », Foucault s’en prend aux utopies de Marcuse et de Reich qui prétendaient qu’il s’agissait de sortir du capitalisme pour accéder à une sexualité enfin libre, pleinement authentique qui faciliterait d’ailleurs tout un ensemble de nouveaux rapports sociaux. Contre une telle idée qui suppose qu’il y a une nature de l’homme, la sexualité, qui aurait été réprimée par l’appareil productif et par la culture, Foucault avance au contraire que le sexe n’a pas cessé d’être mis en discours. Contre le sexe rendu silencieux le sexe bavard. Du coup une lecture rapide de La volonté de savoir peut laisser croire que nous vivons dans une société permissive qui nous incite à exposer notre sexualité. Pour contrer cette lecture Foucault met en avant le fait que la sexualité est organisée par toute une technologie de pouvoir. C’est elle qui lui confère son allure. Dans un entretien à la radio en 1977 il déclare : « Je ne veux pas dire du tout que la sexualité chez nous n’est pas interdite, qu’elle n’est pas réprimée, qu’elle est permise sur toutes ses formes et sur toutes ses conditions possibles mais je veux dire que l’interdit là où il fonctionne, comme par exemple l’interdit de l’inceste ou l’interdit beaucoup plus souple des relations extra-conjugales, si tous ces interdits ne sont pas des pièces à l’intérieur d’un jeu beaucoup plus complexe et beaucoup plus positif où on pourrait dire en gros que les relations de pouvoir, les contrôles sociaux se sont emparés de la sexualité ». Il affirme dans le même entretien : « il y a toute une technologie politique autour de la sexualité et c’est cette technologie plus fondamentale que les interdits ou les permissions que j’ai voulu reconstituer ».

     1/ Le sujet par sa sexualité

Au point de départ il y a un étonnement qui est le même au fond que celui de La volonté de savoir : comment sommes-nous devenus notre sexualité ? Par quels mécanismes de pouvoir, par quels savoirs, par quels discours la sexualité est-elle devenue notre évidence ? Comme le signale Arnold Davidson, « nous sommes notre sexualité…nous ne saurions penser à nous-mêmes, à notre identité psychologique la plus fondamentale sans penser à notre sexualité (…) qui révèle le genre d’individu que nous sommes » (L’émergence de la sexualité, 2001, p. 9). Ce qui est radical dans L’histoire de la sexualité c’est précisément que la sexualité a une histoire : c’est-à-dire qu’elle n’est nullement une évidence naturelle à laquelle il faudrait revenir mais une construction qui dépend de toute une économie des discours et des pouvoirs. Dès 1964, dans le cours sur la sexualité à l’université de Clermont-Ferrand Foucault plaide pour « une histoire culturelle de la sexualité occidentale » (La sexualité, 2018, p. 4).

Peut-on ressaisir dans cette histoire le moment où s’établit le nouage du sujet à sa sexualité, où ce qui était un problème pour un sujet, la sexualité, a fini par devenir sa vérité ? Les aveux de la chair répondent à cette question : Foucault explique que c’est dans le moment chrétien entre le 2ème et le 5ème siècle de notre ère que ce nouage a été élaboré. Le paradoxe c’est que ce nouage s’est établi précisément grâce au thème du « renoncement à la chair » pour reprendre le titre français du livre de Peter Brown paru en 1988. Ce renoncement à la chair a pris deux grandes formes dans la culture chrétienne : un ensemble de pratiques de pénitence (l’exomologèse) par lesquelles le pécheur se purifie de sa faute ou de sa souillure et un ensemble de discours, de confessions par lesquelles le moine s’adresse à son prêtre pour dire ce qui le tourmente, ses fautes, ses tentations. On reconnaît là deux modalités du sujet qui ont toutes deux à voir avec la vérité pour Foucault. La pénitence est un faire-vrai qui est censé corriger un mal-faire. La confession est un dire-vrai. Ce qui intéresse particulièrement Foucault, c’est de comprendre comment l’on est passé dans la culture chrétienne du faire-vrai au dire-vrai et quelles en sont les implications pour nous. Ces deux grandes pratiques ont eu pour effet paradoxal de lier le sujet à sa sexualité.

Ainsi, quand Foucault se tourne vers les Chrétiens, il cherche à restituer le point d’origine où dans notre culture occidentale la part sexuelle de chacun a été révélée comme ce sujet que nous ne devrions pas être mais que nous sommes et dont le rôle des pratiques ascétiques est de nous en affranchir. Le livre dès lors examine cette relation à la sexualité dans le cas du baptême, de la pénitence et de la confession (partie I), de la virginité (partie II) et du mariage (partie III). Il y a à travers tous ces examens historiques qui courent entre le IIème et le Vème siècle une décision théorique importante : montrer comment la culture chrétienne, comment toute une technologie de l’obéissance, a en somme organisé le renoncement au sexe et cependant, par ce fait là, valorisé le nouage du sujet à la sexualité. Ou plus exactement c’est au moment où le renoncement à la chair se formule comme idéal ascétique du sujet que la sexualité est précisément arrimée au sujet d’une manière profonde.

Et Foucault le montre là où il pourrait sembler que l’on a affaire au maximum d’éloignement entre sujet et sexualité à propos de la virginité. Je cite un passage remarquable dans le chapitre II « Être vierge » : « La valorisation de la virginité est bien autre chose que la disqualification ou la prohibition pure et simple des rapports sexuels. Elle implique une valorisation considérable du rapport de l’individu à sa propre conduite sexuelle puisqu’elle fait de ce rapport une expérience positive… Que les choses soient bien claires : il ne s’agit pas de dire qu’il y a eu valorisation positive de l’acte sexuel dans le christianisme. Mais la valeur négative qu’on lui a très clairement accordée fait partie d’un ensemble qui donne au rapport du sujet à son activité sexuelle une importance à laquelle jamais la morale grecque ou romaine n’aurait songé. La place centrale du sexe dans la subjectivité occidentale se marque déjà clairement dans la formation de cette mystique de la virginité » (p. 201-202). Texte assez incroyable car Foucault nous dit finalement que le refus de la sexualité donne lieu à un mode de vie, la virginité, qui révèle a contrario l’importance de l’activité sexuelle pour le sujet. L’obsession du renoncement à la sexualité est le signe d’une vraie obsession du sujet pour le sexe. La morale chrétienne ou plus encore la technologie chrétienne de la chair a littéralement donné au rapport que le sujet a à la sexualité une importance sans équivalent. Et ainsi c’est la culture chrétienne qui a finalement fait de la sexualité une obsession pour le sujet. Avec elle les sujets ne pensent qu’à ça. Et être sujet en un certain sense c’est ne penser qu’à ça. Au point que le sexe s’est mis à acquérir une importance considérable pour reprendre les mots de Foucault dans la formation et le développement de la subjectivité. Et c’est au fond cette importance qui va aller s’amplifiant jusqu’à la forme ultime de la libido que Saint Augustin construit dans ses analyses propres du mariage. De telle sorte que la mise en discours du sexe repérée par Foucault dans notre modernité est cela même que la culture chrétienne a au bout du compte établie.

     2/ Le dire vrai sur sa sexualité

A l’intérieur de ce moment chrétien dans lequel la sexualité est nouée au sujet, Foucault entend remonter jusqu’au point à partir duquel le sujet se trouve constitué par l’obligation de dire le vrai sur sa sexualité à l’intérieur de relations définies par l’Église qui sont des relations d’obéissance. Au centre des Aveux de la chair, qui en forme le cœur, il y a cette relation entre soi et la vérité. Qu’est-ce que ça signifie que de dire le vrai sur soi-même ? Quel est le prix à payer pour le sujet pour qu’il dise la vérité sur lui et plus encore pour qu’il considère que le fait de dire la vérité sur soi est la condition même d’un vrai rapport à soi ?

On trouve là un point d’une très grande importance pour nous aujourd’hui : Foucault a relevé l’importance de la volonté de vérité depuis les Grecs. Seulement les Grecs et les Romains ne liaient absolument pas la volonté de vérité à la sexualité. Celle-ci était affaire d’un bon usage des plaisirs, d’un idéal de maîtrise et de puissance. Le fait que cette volonté de vérité s’est nouée à cette part de nous qui s’appelle la sexualité a alors impliqué que la sexualité est devenue notre vérité. Et je crois, comme je le montrerai dans une seconde partie de mon intervention, que nous ne sommes pas sortis de cet énoncé.

Le tome I de L’histoire de la sexualité, La volonté de savoir, était parvenu à une semblable conclusion mais par un tout autre biais. Ce livre avait en effet procédé à un retournement fondamental à propos de notre modernité : en somme, là où nous pensions que le sujet moderne s’était constitué en taisant sa sexualité, voilà que par un étrange renversement Foucault soulignait au contraire qu’elle ne se mettait à exister que pour autant qu’elle était mise en discours, entrant dans une mise en savoir infinie, avec comme conséquence que c’est la sexualité même qui constitue notre vérité de sujet. On peut penser au point de départ de notre réflexion et à notre emprunt fait à Arnold Davidson et l’émergence d’un impératif du style sois ta sexualité ! La constitution d’une « scientia sexualis » attachait le sujet à sa sexualité. Elle faisait de celle-ci le révélateur le plus profond d’un être comme on le voit avec la psychanalyse.

Le projet général de L’histoire de la sexualité peut ici s’éclairer : entreprendre une généalogie de l’homme de désir dans laquelle l’obligation de dire le vrai sur ses désirs, ses pulsions, ses penchants, ses obsessions, va finir par devenir dans L’histoire de la sexualité la rupture essentielle. Cette rupture est précisément ce qui va constituer l’événement de la pastorale chrétienne entre les deuxième et cinquième siècle. Et on comprend pourquoi Foucault voulait faire paraître ce livre après les deux ouvrages portant sur les Grecs et les Romains. C’est qu’il faut d’abord mettre en avant la manière dont les pratiques sexuelles et l’usage des plaisirs ont été codifiés dans l’Antiquité avant de prendre place dans une culture de l’austérité (L’usage des plaisirs). Il faut ensuite étudier son inflexion dans un art de vivre dominé par la préoccupation de soi-même dans les deux premiers siècles de notre ère (Le souci de soi). Pour enfin, à partir du deuxième siècle, faire jouer pleinement la rupture que révèle Les aveux de la chair, en s’intéressant, dans cette généalogie du désir, à la façon dont, chez les pères chrétiens des premiers siècles, le thème de la chair se noue à la purification du désir. Et alors ce qui est central dans ce moment chrétien c’est une toute nouvelle obligation de dire le vrai sur soi-même. Et plus encore c’est une toute nouvelle obligation d’avoir à produire un tel acte de vérité sur sa sexualité. Car certes elle prend place dans tout un ensemble de péchés mais il ne faut pas s’y tromper, c’est elle essentiellement qui nous conduit à mal faire. Foucault formule sa question à la page 98 du livre : « Pourquoi, lorsqu’on a « mal fait », faut-il faire éclater la vérité, non seulement de ce qu’on a fait, mais de ce qu’on est ? ». Et là on peut noter plusieurs points. D’abord cette relation entre mal-faire et dire-vrai qui va supplanter progressivement la relation entre mal-faire et faire-vrai : la confession prend la place de la pénitence. Ensuite le fait que la vérité ne vaut que si elle éclate au grand jour, il ne suffit pas autrement-dire de s’avouer à soi-même la faute commise, il faut la dire et la dire à un autre selon toute une technologie de soumission et d’obéissance par le fait même de dire à l’autre ses fautes. Et enfin, en disant ce que j’ai fait je révèle qui je suis : « pourquoi faut-il faire éclater la vérité non seulement de ce qu’on a fait mais de ce qu’on est ? » Notre être de sujet est révélé par le dire-vrai qui porte sur sa sexualité.

     3/ L’aveu

Foucault tire une ultime ligne de réflexion vraiment pertinente dans laquelle la structure de l’aveu tend à être constitutive du fait d’être sujet. Foucault en tire un enseignement majeur sur les rapports entre le soi, la sexualité, le mal faire et le dire vrai. A savoir : le fait d’avouer prend sens par rapport à un confesseur qui prend la place du directeur de conscience antique qui était seulement là pour diriger la conduite sans se prononcer sur la nature du sujet à conduire. C’est toute la question d’un gouvernement pastoral des individus par l’aveu qu’ils font de leurs désirs qui est posée par Foucault. Ce qui intervient avec l’Église chrétienne c’est le fait que cette obligation de dire le vrai sur soi à propos de ses mauvais actes soit devenue un motif de gouvernement des individus par l’Église. C’est par le fait d’avouer ses actes que quelqu’un obtient le cas échéant son salut mais à condition d’être placé en position de soumission totale par rapport à son confesseur. L’obligation de dire le vrai sur sa faute, en étant une condition d’obtention du pardon, n’est plus alors seulement et même d’abord un problème de véridicité singulière d’un sujet situé comme dans l’Antiquité dans un rapport maître/disciple mais c’est au fond une technologie pour s’assurer une certaine prise sur les sujets. C’est ce que Foucault repère parfaitement à propos des deux grandes stratégies de la pénitence comme faire vrai et de la confession comme dire vrai. Dans les deux cas comment mener une vraie vie chrétienne en se souciant du salut de son âme par un ensemble de pratiques constamment répétées destinées à expurger le mal faire ? Il faut ici comprendre que l’ancienne technologie du baptême se met à être insuffisante pour purger les péchés parce que l’homme continue de porter en lui le poids du péché originel. Et donc il faut une technologie nouvelle faite d’un côté de pratiques pénitentielles (l’exomologèse) et de l’autre côté  d’examens, de confessions, d’aveux de ses fautes (l’exagorèse)  pour que le sujet soit dans une position qui lui permette d’accéder au salut de son âme.

Et dans cette technologie le fait que la confession prenne le dessus sur la pénitence indique très clairement et d’une manière irréversible un lien toujours plus étroit entre aveu et confession que Foucault a parfaitement noté dans La volonté de savoir : « L’aveu a été et demeure encore aujourd’hui la matrice générale qui régit la production du discours vrai sur le sexe » (Volonté de savoir, p. 84). Foucault repère alors parfaitement comment la pénitence est déjà une forme d’aveu en acte d’une faute reconnue publiquement. Mais il souligne également qu’il a pris une toute autre ampleur quand il s’est agi au fond de confesser ses fautes. Car c’est alors tout un sujet en son fonds le plus intérieur qui est alors convoqué par les mots de l’aveu : « Il ne s’agit plus seulement de dire ce qui a été fait, l’acte sexuel, et comment, mais de restituer en lui, et autour de lui, les pensées qui l’ont doublé, les obsessions qui l’accompagnent, les désirs » (p. 85).

Ainsi, à travers des enquêtes historiques s’étalant du deuxième au cinquième siècle de notre ère sur le baptême, la pénitence, la confession (première partie), la virginité (seconde partie) et le mariage (troisième partie), l’enjeu pour Foucault est de restituer la technologie chrétienne qui fait avouer à un sujet toutes ses pensées les plus intimes, ses désirs secrets.

Un point particulier me semble essentiel pour nous aujourd’hui dans le texte de Foucault : c’est ce que j’appellerais l’émergence de la sexualité mentale. La libidinisation du sexe analysée par Foucault dans l’œuvre de Saint Augustin au 5ème siècle implique que la libido emporte le corps mais aussi l’âme. Qu’est-ce que la libido ? Le surgissement d’un mouvement involontaire en « lieu et place du volontaire » (p. 333). Saint Augustin découvre avant Freud que la sexualité est une affaire mentale : « C’est dans l’âme elle-même que Saint Augustin cherche à placer le principe de la concupiscence et le point de départ de l’involontaire qui la traverse » (p. 341). C’est dire que si la libido loge dans l’âme il faut bien l’observer, la scruter, pour en débusquer toutes les pensées mauvaises. Un travail d’interprétation de soi infinie en est la conséquence qu’il faut confesser à un prêtre sous la forme d’un aveu.

II.  Quelle actualité pour Les aveux de la chair ?

     1/ Le dimorphisme de la véridicité et de la juridicité

Deux éléments au fond prennent toute leur importance, la vérité et le droit. Ils se mettent à définir deux entrées dans l’expérience de la sexualité qui sont distinctes historiquement. Foucault les présente lorsqu’il envisage les différences, dans la culture chrétienne, entre l’art de la vie monastique et l’art matrimonial. L’enjeu est, pour la diffusion de la religion chrétienne, très important. L’idéal ascétique de la vie monastique est un idéal de la vie hors du monde. L’art matrimonial codifie un art de vivre chrétien dans le monde. Il importe que le premier ne soit pas la norme du second. Il est donc dangereux de s’en tenir dans la culture chrétienne à l’idéal monastique et il faut envisager une bonne pratique de la vie chrétienne dans le monde. Cette séparation entre le monastère (la maison de Dieu) et la maison induit deux relations à la sexualité distinctes que Foucault présente à partir de l’épreuve de vérité (véridicité) d’un côté et de la forme de vie de l’autre côté (juridicité).

Comme épreuve de vérité c’est le rappel que dans l’art de la vie monastique chacun a obligation de dire le vrai sur ses désirs et ses pensées. L’ascèse monastique a alors consisté dans « des pratiques de surveillance constante de soi, de déchiffrement de ses propres secrets » (p. 281) : obligation de véridicité d’un sujet dans le déchiffrement de sa chair. Comme forme de vie c’est l’institution du mariage qui fixe le cadre d’une vie chrétienne au quotidien pour tout un chacun. Dans cette perspective le mariage implique tout un ensemble de dettes réciproques entre l’homme et la femme qui prennent donc la forme d’une juridiction : « le thème de la dette donnera lieu à un travail incessant de codification et à une longue réflexion de jurisprudence ».

Ce qu’il y a de remarquable dans l’analyse de Foucault, c’est qu’il ne s’empresse pas d’unifier ces deux grandes expériences de la sexualité, dire le vrai sur soi-même, se placer dans une économie juridique de la sexualité. Il en maintient la différence qu’il nomme « dimorphisme » : l’expérience de la sexualité est réfléchie en deux formes distinctes. Foucault confère à cette séparation entre ces deux mises en formes de la sexualité, véridique et juridique, une valeur centrale pour notre expérience de la sexualité : il affirme que c’est cette différence qui a constitué notre culture sexuelle en Occident et qui s’est maintenue jusqu’à nous aujourd’hui. Je cite ce passage si important qui fait suite à une analyse du dimorphisme chez un des Pères de l’église, Chrysostome, au IVème siècle : « Le dimorphisme le deviendra de plus en plus, marquant de façon profonde la manière de réfléchir et de régler les comportements sexuels en Occident : en termes de vérité (mais sous la forme d’un secret au fond de soi-même à élucider indéfiniment si on veut être sauvé), et en termes de droit (mais autant sous la forme d’un droit de dettes et d’obligations que sous celle de l’interdit et de la transgression). Ce dimorphisme est encore loin d’avoir disparu, ou du moins épuisé ses effets » (p. 282). On a bien là deux voies d’accès différentes à la sexualité.

    2/ La sexualité-psychologie et la sexualité-pratique : suite et fin du dimorphisme

Et aujourd’hui ? Notre expérience de la sexualité est traversée par la recherche de véridicité et la recherche de juridicité. D’un côté le dire vrai n’a nullement disparu. Simplement il n’est plus articulé à une confession de ses fautes mais bien davantage à une déclaration de son style sexuel ; il s’organise aujourd’hui encore plus qu’hier sous la forme d’une narration de soi dans laquelle chacune, chacun se présente comme sujet sexuel d’un certain style, hétérosexuel, homosexuel, bisexuel, asexuel, aromantique, graysexuel, demisexuel, demiromantique, lithromantique, pansexuel, polysexuel, skoliosexuel. La structure de l’adresse n’a pas disparu et avec celle de l’aveu mais elle prend des formes multiples qui sont autant d’exposition de soi dont l’exposition sur Internet joue un rôle central pour reprendre les analyses de Bernard Harcourt à ce sujet. Qui sont aussi des narrations de soi adressées à l’institution médicale pour changer de sexe par exemple dans le cadre d’un suivi psychiatrique : opération de véridicité en un sens amplifiée donc. Opération de juridicité amplifiée également : car la lutte des droits est ouverte le genre de vie sexuel que l’on veut mener : droit au mariage pour les couples homosexuels, droit à l’adoption, à la procréation médicale assistée, à la gestation pour autrui, etc.

Pour autant, il n’est pas certain que ces deux formes soient aussi séparées que Foucault l’analyse dans l’épistémè chrétienne. Sans doute est-ce là l’un des effets les plus intéressants de la lecture de ce texte de Foucault de 1982 publié en 2018, c’est qu’il nous force à nous interroger sur nos propres nouages entre sujet et sexualité, et en particulier sur nos propres rapports de véridicité et de juridicité à la sexualité. Il nous force sans doute plus aujourd’hui encore qu’en 1982 à mesurer l’écart entre l’épistémè chrétienne de la sexualité et la nôtre aujourd’hui. Au fond, qu’entendons-nous par expérience de la sexualité aujourd’hui ?

Et je crois que là on a bien quelque chose comme un congé donné au dimorphisme, je veux dire que cette idée que l’on a deux grandes formes séparées de l’expérience sexuelle, réglées par deux dispositifs comme le monastère et le mariage, et qui sont l’impératif de véridicité et l’impératif de juridicité, ne tient sans doute plus. Évidemment en raison de notre sécularisation paradoxale cependant car elle ne va pas sans une relégitimation de la religion et des pratiques de genre liées à la religion, un peu à la manière dont la révolution implique une contre-révolution. Et évidemment il y a un lien : la révolution sexuelle, commencée dans les années 60, a engendré une contre-révolution qui prend notamment la forme d’un retour aux préceptes et codifications religieux de la sexualité. Mais enfin les choses ont changé. Et ce qui a profondément changé c’est le fait, malgré la contre-révolution qu’il ne faut pas sous-estimer, que la sexualité est devenue notre affaire, qu’elle est notre business. Cela ne signifie pas, c’est là sans doute, le point d’achoppement source de bien des malentendus, qu’aient disparu les formes élémentaires du dimorphisme, véridicité et juridicité. Et d’ailleurs comment pourrait-il en être autrement puisque la sexualité est à ce point une formation sociale et culturelle ? Mais si ces deux voies d’accès à la sexualité, la véridicité et la juridicité, ne disparaissent pas, il me semble qu’elles tendent désormais à faire une. C’est bien cette unification qui constitue la sexualité en affaire de chacun.

Si l’analyse est exacte, cela signifie que se voient aujourd’hui de plus en plus réarticulées des formes d’énonciation sur qui nous sommes en tant que sujets sexuels et des pratiques de la sexualité qui spécifient comment nous vivons ou comment nous avons à vivre notre sexualité. Cette dissociation de la vie sexuelle codée chrétiennement dans le mariage, et dont Foucault a montré en tout cas avec Chrysostome (cela changera avec Saint Augustin) qu’elle n’avait pas pour fin la procréation mais qu’elle était un droit inhérent au mariage, et de la confession de soi dans une économie des désirs allant de la tentation à la faute, cette dichotomie du sujet sexuel entre pratiques auxquelles il a droit et aveu de sa sexualité, est en train de se résorber dans la mesure où désormais assumer sa sexualité en plein jour, sortir du placard (Sedgwick), c’est idéalement du moins déduire ses pratiques sexuelles d’un énoncé de vérité sur la sexualité que nous assumons dans un désir de transparence.

Pour comprendre ce changement majeur, il faut le rapporter à la montée d’un raisonnement égalitaire largement porté et rendu possible par les voix des femmes puis par les minorités sexuelles. Le schéma d’un dimorphisme de la chair porté par la culture chrétienne de la chair est un schéma genré écrit à l’avance par l’homme et pour l’homme qui voit dans la femme une propriété de l’homme et n’abolit cette relation que dans le droit pour chacun d’user du corps de l’autre dans le mariage. L’Histoire de la sexualité, et ce quatrième tome n’y échappe pas, est en ce sens une histoire masculiniste de la sexualité dans laquelle la contre-histoire de la sexualité des femmes peine à apparaître. D’où les critiques que les féministes américaines ont portées sur cette histoire et notamment sur La volonté de savoir. Et on peut comprendre comment ce texte de Foucault qui nous est accessible aujourd’hui, soit plus de 37 ans après son écriture, nous soit à la fois si familier et en même temps si étrange.

Si familier parce que, en dépit de l’extrême dureté du renoncement à la chair chrétien, c’est bien notre sujet psychologique qui s’y est constitué avec cet élément central d’une sexualité mentale (dont Freud sera l’un des aboutissements d’ailleurs) dont la grande affaire a été le déchiffrement de soi à partir du déchiffrement de ses désirs. Et en même temps si étrange parce que cette interprétation des désirs comme interprétation de soi se fait dans le cadre d’une inégalité des sexes qui ne nous est plus imaginable. Et là est sans doute le point crucial : l’effacement de la voix des femmes et par extension de toutes les voix des sexualités marginales dans la constitution d’un soi sexuel.

Mais alors si l’on se situe dans ce cadre égalitaire c’est que l’on est bien dans une nouvelle épistémè de la sexualité dans laquelle chacun a à faire sa sexualité à partir d’une certaine vérité de son sexe. Véridicité et juridicité n’ont pas disparu mais se sont coagulées et presque absorbées dans un même ensemble. Demande de vérité sur soi comme sujet sexuel d’un certain genre (véridicité) et accès à des pratiques légitimes de sexualité (juridicité) ne cessent de se rejoindre. Pour faire, au fond, qu’à l’obligation à laquelle chacun consent de dire le vrai sur sa sexualité corresponde quelque chose comme un droit à bien faire sa sexualité. Ce n’est plus tant le rapport mal faire, dire-vrai de l’ancienne culture chrétienne qui s’avère prépondérant mais bien en un nouveau sens le rapport bien faire, dire-vrai qui se constitue sinon comme norme de la sexualité du moins comme expérience. On peut ici préciser de la façon suivante : À partir du moment où l’on considère que dire le vrai sur sa sexualité est une expérience subjective fondamentale, alors cela ouvre l’accès à tout un ensemble de droits nouveaux. En somme, à partir du moment où je dis qui je suis sexuellement, où j’ai le courage de sortir du placard, alors quelque chose comme un droit à une vraie sexualité s’ouvre et devient pensable et même légitime. Les revendications homosexuelles, faites depuis cette ouverture des placards, ont justement conduit à la formulation d’un mariage pour tous. On dit le vrai sur sa sexualité en somme pour ouvrir à un certain nombre de droits, de revendications en les inscrivant dans un champ de luttes à venir. La véridicité se fait condition de juridicité. Une nouvelle culture de soi tend alors à émerger dans laquelle on passe de l’injonction à avouer à un confesseur ses désirs dans l’idéal monastique à un désir de rendre public qui l’on est comme sujet sexuel comme désir de vivre pleinement sa vie,

Une nouvelle épistémè me semble ici à l’œuvre dans laquelle le sujet se noue différemment aux savoirs/pouvoirs qui reposent entièrement sur l’égalité des partenaires et plus encore sur la présupposition de l’égalité. La question actuelle est bien de savoir comment faire sexualité dans l’égalité. Et on peut avancer négativement que l’épistémè chrétienne était encore marquée par une épistémè de la domination de l’homme sur la femme : à l’exception pour Foucault, dans le cadre très réglé de l’idéal matrimonial de la vie chrétienne, et à un moment particulier de flottement du mariage pour la procréation que l’on trouve chez un auteur du 4ème siècle comme Chrysostome, de la pratique sexuelle des époux où le droit d’user du corps de l’autre est le même. Alors que là on est totalement sorti de cette épistémè avec l’affirmation d’une égalité des partenaires dans la sexualité et l’idée qu’il faut s’assurer de cette égalité comme préalable à toute activité sexuelle, avec de ce fait un déplacement vers l’idée du consentement mutuel qui implique, contrairement à Chrysostome que l’on est resté propriétaire de son corps dans l’acte sexuel et que c’est bien à ce titre que l’on peut jouir du corps de l’autre. On comprend dans cette perspective que des mouvements comme #MeToo aux Etats-Unis s’en soient pris à l’implicite de l’ancienne épistémè, la domination, et donc au refus du pouvoir de l’un sur l’autre dans la sexualité. En ce sens notre époque est particulièrement intéressante puisqu’elle se comprend depuis l’interrogation suivante : quelle sexualité dans une égalité radicale ?

Ceci se solde par la montée en puissance de l’exigence de juridicité dans la définition même des pratiques sexuelles avec l’exigence de consentement dans les rapports sexuels et la prise en considération de la catégorie d’emprise par le législateur au civil et au pénal pour apprécier des formes illicites de sexualité. De telle sorte que du consentement à l’emprise c’est l’ensemble du spectre des pratiques sexuelles qui se voit recodé par le droit depuis cette demande de tout un chacun, de toute une chacune d’être pleinement reconnu(e) dans la singularité de son rapport à la sexualité (véridicité). Ce qui est certain, c’est que l’on assiste bien alors à l’émergence d’une culture commune des sexualités autorisées et même des bonnes sexualités. Ces bonnes sexualités ne reconduisent plus tout au partage du normal et du pathologique, du sain et du déviant. Elles se reformulent à partir d’un ensemble de revendications portant sur le droit à la sexualité ouvertes depuis ce désir de chacune-chacun d’être pleinement l’auteur de sa sexualité. Et par culture commune il faut entendre que l’accomplissement du sujet sexuel passe désormais par la politisation de la sexualité : activisme d’un sujet pleinement actif qui milite pour la formation d’un nouveau collectif sexuel.

Tout ceci n’est bien sûr par étranger au Big-Bang dont a parlé Bernard Harcourt dans le séminaire 3 de Critique 13/13 consacré à Simone de Beauvoir. Ce Big-Bang n’est-ce pas l’autre nom d’une révolution sexuelle qui a commencé par la dénaturalisation de la sexualité entreprise par Beauvoir dans Le deuxième sexe et dont L’histoire de la sexualité de Foucault mais aussi Gender Trouble et bien d’autres livres sont des amplificateurs ? Là où quelque chose comme une loi naturelle semblait présider à la sexualité on a pu alors montrer que tout cela était construit socialement, de telle sorte qu’il en a résulté une dichotomie sexe-genre, qui a ouvert tout un ensemble de possibilités de ne pas rapporter son genre à son sexe, de défaire le lien entre sexualité et procréation, etc. Mais on a pu également, en prolongement, et de façon plus radicale encore, contester la dichotomie sexe-genre, en soulignant que le sexe est une construction du genre et en ouvrant de façon encore plus importante toutes les possibilités de faire genre. Et l’on peut dire que Judith Butler a achevé ce renversement dans Gender Trouble en assumant un geste militant fort : penser le genre comme champ plutôt que comme loi en ouvrant ainsi toutes les possibilités d’une combinatoire du genre.

La condition de ce raisonnement, je conclus là-dessus, est l’égalité radicale. Et si pendant longtemps la sexualité a été pensée depuis des inégalités d’être, de statut, de culture, qui ont alors nécessité d’établir une distinction forte entre le parcours de la sexualité dans l’économie psychique d’un sujet dont il y a à dire le vrai et la codification des pratiques de sexualité trouvant dans le mariage sa norme juridique, le fait qu’aujourd’hui la sexualité c’est le terrain de l’égalité, c’est un ensemble de pratiques qui ne peuvent être que des pratiques d’égalité (et non plus donc de domination), a des répercussions fondamentales sur qui nous sommes comme sujets sexuels et ce que nous avons à vivre en tant que sujets sexuels. C’est le sens de ce qui se passe aujourd’hui tant du côté de l’extension du droit au mariage de tous et de toutes que du côté de #MeToo ou de la dénonciation des harcèlements, violences, viols : quelque chose de l’inégalité du dispositif chrétien d’accès à la chair s’est rompu, de façon sans doute définitive, au profit d’une nouvelle économie radicalement égalitaire des sujets sexuels. Ce qui signifie alors que tous les modes de domination qui avaient pendant longtemps fondé la soumission des hommes sur les femmes et simultanément empêché toutes les autres formes de relation sont du moins en théorie désormais illégitimes.

Est-ce pour autant que toute l’épistémè de Foucault concernant les rapports entre sujet, sexualité, pouvoir mais aussi savoir, est par terre ? Je ne le crois pas. Pour une raison essentielle qui tient au fait que s’est nouée dans notre histoire l’obligation de dire la vérité sur soi et sa propre sexualité. L’idée au fond qu’un sujet n’a pas à répondre de sa sexualité, de qui il est dans sa sexualité, nous est pour une large part, et encore aujourd’hui, et peut-être aujourd’hui en un sens plus encore qu’hier, devenue étrangère. Ceci pour le meilleur et pour le pire sans doute. Pour le meilleur évidemment car si la sexualité est cette part de nous qui nous fait être, comment ne pas voir dans toutes les violences qui sont faites à quelqu’un au nom de sa pratique sexuelle autant de négations de ce que nous sommes ? Pour le pire peut-être car le fait d’avoir à avouer qui nous sommes est finalement considéré comme cela même que nous avons à honorer à propos de notre sexualité. Foucault le disait déjà dans La volonté de savoir : « Depuis la pénitence chrétienne jusqu’aujourd’hui, le sexe fut matière privilégiée de confession. Ce qu’on cache dit-on. Et si c’était au contraire ce que, d’une façon toute particulière on avoue ? » (Volonté de savoir, p. 82). De telle sorte que tout ce qui relève du non-dit, toute l’érotologie des pratiques semble comme traversée et même niée par cette obligation à dire le vrai sur soi-même en s’adressant à un autre qui confirmera qui l’on est, soit pour authentifier de la normalité de notre sexualité (structure médicale), soit pour légiférer sur notre sexualité (structure judiciaire). Sans doute est-ce à partir de là qu’il nous faudrait reprendre l’idée essentielle de Foucault selon laquelle il nous revient d’ « inventer de nouvelles formes de subjectivités ».